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Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/249

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jardin, puis vînmes nous asseoir sur un banc, le dos appuyé au feuillage nouveau d’une haie touffue. Nous causâmes sur l’arc d’Ulysse, sur les héros d’Homère, puis sur les tragiques grecs, et enfin sur cette opinion que le théâtre grec était par Euripide tombé en décadence[1]. Goethe n’est pas du tout de cet avis.

« En général, dit-il, je ne crois pas qu’un art puisse tomber en décadence par la faute d’un seul homme. Il faut pour cela une réunion de circonstances qui ne sont pas faciles à indiquer. L’art tragique des Grecs pouvait aussi peu tomber en décadence par la faute d’Euripide que la sculpture par la faute d’un sculpteur venant après Phidias et moins grand que lui. Quand un siècle est grand, il marche sans s’arrêter sur la voie de la perfection, et les œuvres médiocres n’ont aucune influence. Et quel grand siècle que le siècle d’Euripide ! Ce n’était pas le temps de la perversion du goût, c’était le temps de son perfectionnement. La sculpture n’avait pas encore atteint son apogée et la peinture était dans ses premiers développements. Si les pièces d’Euripide, comparées à celles de Sophocle, avaient de grands défauts, ce n’est pas une raison pour que les poètes postérieurs dussent imiter ces défauts et se perdre par eux. Mais si, au contraire, elles avaient de grandes beautés, telles que certains esprits peuvent les préférer aux pièces de Sophocle, pourquoi les poètes postérieurs n’imitaient ils pas ces beautés et ne devenaient-ils pas ainsi au moins aussi grands qu’Euripide lui-même ? Si, après les trois grands tragiques connus, il n’en est pas venu un qua-

  1. Les romantiques ont beaucoup rabaissé Euripide, parce qu’il est plus philosophique que religieux. Goethe l’a défendu contre eux.