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Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/318

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pour une matinée dans la campagne, il mettra sur sa palette beaucoup de bleu et peu de jaune. Au contraire, s’il peint un soir, il prendra beaucoup de jaune et laissera manquer presque entièrement le bleu. Dans mes différents écrits, j’ai procédé d’une façon analogue, et c’est peut-être là le motif des caractères différents qu’on leur reconnaît. »

Ce précepte me parut extrêmement judicieux, et je fus très-content d’avoir entendu Goethe l’exprimer. Je lui exprimai aussi à propos de la Nouvelle l’admiration que je ressentais pour les peintures de paysages qu’elle contenait, et Goethe me dit : « Je n’ai jamais observé la nature dans un but poétique ; mais j’ai été conduit à la contempler constamment avec précision, d’abord en dessinant le paysage, et plus tard en faisant des études d’histoire naturelle ; j’ai ainsi peu à peu appris la nature par cœur, jusque dans ses plus petits détails, et lorsque, comme poëte, j’ai besoin d’elle, elle est à mes ordres, et il ne m’est pas facile de manquer à la vérité. Schiller ne possédait pas cette observation de la nature. Tout ce que Guillaume Tell renferme sur le paysage suisse, c’est moi qui le lui ai raconté ; mais c’était un esprit si admirable, que sur de tels récits il pouvait faire une œuvre qui avait de la réalité. »

La conversation roula alors entièrement sur Schiller, et Goethe continua ainsi :

« Ce que Schiller savait créer surtout, c’était de l’idéal, et on peut dire qu’en cela il a aussi peu son égal dans une littérature étrangère que dans la littérature allemande. C’est à lord Byron qu’il ressemblerait le plus, mais celui-ci avait une plus grande connaissance du monde. J’aurais aimé à voir Schiller et Byron vivre dans