Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/361

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conviction vivante de leur mérite extraordinaire, mais uniquement parce qu’il est de tradition chez les philologues de les placer tous deux très-haut. Car, au fond, la petite personne de Schlegel n’était pas capable de concevoir des natures si élevées et de les apprécier à leur juste valeur. — S’il en avait été ainsi, il aurait été juste aussi envers Euripide, et n’aurait pas agi avec lui comme il l’a fait. Mais il sait que les philologues ne le tiennent pas en honneur excessif, et il se sent bien aise, sur cette grande autorité, d’avoir la permission de tomber d’une façon honteuse sur ce grand ancien et de le morigéner autant qu’il le peut, en vrai maître d’école. Je ne nie pas qu’Euripide n’ait ses défauts ; mais il a toujours été cependant un digne rival de Sophocle et d’Eschyle. S’il ne possédait pas la haute gravité et la sévère perfection d’art de ses deux prédécesseurs, s’il a eu dans sa manière d’écrire ses pièces un laisser aller plus humain, c’est qu’il connaissait assez ses Athéniens pour savoir que ce ton qu’il prenait était justement celui qui convenait à ses contemporains. Mais un poëte que Socrate nommait son ami, qu’Aristote plaçait très-haut, que Ménandre admirait, et à la mort duquel Sophocle et la ville d’Athènes prenaient des vêtements de deuil, devait pourtant bien être, en effet, quelque chose. Quand un moderne comme Schlegel relève un défaut dans un si grand ancien, il ne doit lui être permis de le faire qu’à genoux[1]. »

  1. « Je suis content de voir que tu suis mes exhortations et que tu t’occupes de Molière, Nos chers Allemands croient montrer de l’esprit en avançant des paradoxes, c’est-à-dire des injustices. Ce que Schlegel, dans ses Leçons, dit de Molière m’a profondément affligé ; j’ai gardé le silence pendant de longues années, mais maintenant je veux parler à mon tour et apporter quelque consolation à un grand nombre d’esprits de tous les temps en combattant ces erreurs. — Les Français eux-mêmes