Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/412

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nécessité avive l’esprit ; voilà pourquoi, je le répète, j’aime les restrictions de la liberté de la presse. Les Français ont toujours eu, jusqu’à présent, la réputation d’être la nation la plus spirituelle, et ils méritent de la conserver. Nous autres Allemands, nous aimons à laisser tomber tout droit notre opinion : aussi nous ne sommes pas très-avancés en fait d’éloquence indirecte. — Les partis de Paris pourraient acquérir encore plus d’importance, si leur esprit était plus libre, plus libéral, et s’ils se séparaient davantage. Chaque parti a un point de vue historique bien plus élevé que les partis anglais ; chez ceux-ci, les partis sont des forces puissantes, mais peu distinctes, se mêlant l’une à l’autre, et se paralysant. Les vues d’un grand esprit ont peine à les pénétrer, comme nous le constatons par Canning et par les ennuis que l’on fait endurer à ce grand homme d’État. »

Dimanche 15 juillet 1827.

Je suis allé ce soir, après huit heures, chez Goethe ; il venait de rentrer de son jardin, et me dit : « Voyez ! un roman en trois volumes ! et de qui ? de Manzoni ! » — J’examinai ces livres, fort joliment reliés, et renfermant une dédicace pour Goethe. — « Manzoni travaille beaucoup, » dis-je. « Oui, cela marche. » — « Je ne connais rien de Manzoni, continuai-je, sinon son Ode à Napoléon, que j’ai lue de nouveau ces jours-ci, dans votre traduction, et que j’ai extrêmement admirée. Chaque strophe est un tableau ! » — « Oui, l’ode est excellente. Mais quelqu’un en parle-t-il en Allemagne ? C’est absolument comme si elle n’existait pas, et cependant c’est la plus belle poésie qui ait été faite sur ce sujet. »

Pendant que Goethe continuait à lire les journaux an-