Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/106

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aller plus loin, cela lui est refusé. Ici est la limite. Mais, d’ordinaire, ce simple spectacle ne suffit pas aux hommes ; ils croient qu’ils pourront pénétrer plus avant, et ils ressemblent aux enfants qui, lorsqu’ils ont regardé dans un miroir, le tournent aussitôt pour voir ce qu’il y a derrière. »

La conversation tomba sur Merck, et je demandai s’il s’était occupé d’histoire naturelle. « Oui, certes, dit Goethe ; il possédait même d’importantes collections. Merck était un homme de connaissances extrêmement variées. Il aimait aussi l’art, et sa passion allait même si loin que lorsqu’il voyait un bel ouvrage entre les mains d’un philistin, incapable, selon lui, de l’apprécier, il employait tous les moyens pour le faire arriver dans sa propre collection. Il n’avait en pareille matière aucun scrupule, tout moyen lui était bon, et même, s’il ne pouvait faire autrement, il ne dédaignait pas une espèce de haute fourberie. » — Goethe en cita quelques exemples intéressants, puis il continua : « Un homme comme Merck ne peut renaître, et s’il renaissait, le monde le forcerait à vivre autrement. C’était une bonne époque que celle de notre jeunesse. La littérature allemande était encore une table rase sur laquelle on espérait joyeusement tracer maints chefs-d’œuvre. Mais aujourd’hui, elle est si couverte d’écriture, si barbouillée, qu’il n’y a plus de plaisir à la regarder, et un homme d’esprit ne sait plus où trouver de la place pour écrire ce qu’il veut. »

Jeudi, 19 février 1829.

Dîné seul avec Goethe dans son cabinet de travail. — Il était très-gai ; il me dit qu’il avait reçu aujourd’hui beaucoup d’excellentes nouvelles, et qu’il avait heureu-