Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/305

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vignettes, on éprouve ce sentiment de plaisir que donne toujours l’emploi généreux d’une belle fortune. Personne n’a gravé comme lui, et Albert Durer a été moins son modèle qu’un émule. J’enverrai un exemplaire de ses dessins à M. Carlyle, et j’espère faire par là à cet ami un cadeau agréable. »

* Mercredi, 14 avril 1831.

On nous a raconté chez le prince un trait sur Goethe fort caractéristique. En 1784, à l’inauguration des mines d’Ilmenau, il fit un discours. Tous les employés, toutes les personnes de la ville et des environs qui s’intéressaient à l’entreprise étaient là. Goethe paraissait bien posséder son discours, il parla longtemps sans accident. Mais tout à coup il parut entièrement abandonné de son bon génie ; le fil de ses idées était coupé, il semblait ne plus savoir ce qui lui restait à dire. Tout autre aurait été très-embarrassé, lui, pas du tout. Au moins pendant dix minutes, il regarda tranquillement ses auditeurs, que par sa puissance il semblait avoir enchaînés à leur place, et pendant cette pause d’une longueur presque ridicule il conserva un calme parfait. Enfin il redevint maître de ses idées, reprit la parole, et termina son discours avec une aisance et une gaité parfaites, absolument comme si rien ne s’était passé.

Lundi, 2 mai 1831.

Goethe m’a appris aujourd’hui une bonne nouvelle. Il a enfin réussi ces jours-ci à composer le commencement du cinquième acte de Faust, qui manquait encore et qu’il considère maintenant comme terminé.

« L’idée-mère de cette scène, dit-il, a plus de trente ans, mais elle est si importante, que je ne l’avais pas ou-