Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/88

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Je vous aimais, princesse, et j’osais vous le dire ;
Les dieux à mon réveil ne m’ont pas tout ôté,
Je n’ai perdu que mon empire !…

Est-ce joli ! Et puis, il n’y a jamais eu de poëte qui ait toujours eu son talent à sa disposition comme Voltaire. Je me rappelle à ce sujet l’anecdote suivante. Il était resté assez longtemps en visite chez son amie madame du Châtelet ; il allait partir, la voiture était déjà devant la porte, quand arrive une lettre, envoyée par un grand nombre de jeunes filles d’un couvent du voisinage, dans laquelle on le prie de vouloir bien écrire un prologue à la tragédie de Jules César, que ces jeunes filles voulaient jouer à la fête de leur abbesse. La demande était trop aimable pour qu’on pût refuser. — Voltaire aussitôt se fait donner plume et papier, et sur le bord d’une cheminée il écrit le prologue demandé. C’est une poésie d’une vingtaine de vers, dont le fond et la forme sont parfaits, tout à fait appropriés à la circonstance, en un mot, de sa meilleure manière. » — « Je suis très-curieux de la lire, » dis-je. — « Je doute qu’elle se trouve dans votre édition, elle n’a paru qu’il y a peu de temps ; comme il a fait de ces poésies par centaines, beaucoup sont encore dispersées çà et là et en la possession de particuliers. »

« — Ces jours-ci, dans lord Byron, j’ai trouvé avec joie un passage qui montre l’estime extraordinaire que Byron avait aussi pour Voltaire. Et on voit clairement d’ailleurs combien il a lu, étudié et mis à profit Voltaire[1]. »

« — Byron, dit Goethe, savait trop bien où l’on pou-

  1. « Lord Byron a beaucoup d’esprit et de l’esprit très-varié… il a bien lu Voltaire, et il l’imite souvent. » (Chateaubriand.)