Page:Edgar Poe Arthur Gordon Pym.djvu/13

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étaient absolument vitreux. Dans l’excès de mon désespoir, je le lâchai, et il roula comme une bûche dans l’eau du fond du canot d’où je l’avais tiré. Il était évident que, pendant la soirée, il avait bu beaucoup plus que je n’avais soupçonné, et que sa conduite au lit était le résultat d’une de ces ivresses profondément concentrées, qui, comme la folie, donnent souvent à la victime la faculté d’imiter l’allure des gens en parfaite possession de leurs sens. L’atmosphère froide de la nuit avait produit bientôt son effet accoutumé ; l’énergie spirituelle avait cédé à son influence, et la perception confuse que sans aucun doute il avait eue alors de notre périlleuse situation n’avait servi qu’à hâter la catastrophe. Maintenant il était absolument inerte, et il n’y avait aucune probabilité pour qu’il fût autrement avant quelques heures.

Il n’est guère possible de se figurer toute l’étendue de mon effroi. Les fumées du vin s’étaient évaporées, et me laissaient doublement timide et irrésolu. Je savais que j’étais absolument incapable de manœuvrer le bateau et qu’une brise furieuse avec un fort reflux nous précipitait vers la mort. Une tempête s’amassait évidemment derrière nous ; nous n’avions ni boussole ni provisions, et il était clair que, si nous tenions notre route actuelle, nous perdrions la terre de vue avant le point du jour. Ces pensées et une foule d’autres, également terribles, traversèrent mon esprit avec une éblouissante rapidité, et pendant quelques instants elles me paralysèrent au point de m’ôter la possibilité de faire le moindre effort. Le canot fuyait en plein devant le vent ; — il piquait dans l’eau et filait avec une terrible vitesse,