Page:Edgar Poe Arthur Gordon Pym.djvu/15

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ainsi arrangé toutes choses du mieux que je pouvais, glacé et agité comme je l’étais, je me recommandai à Dieu, et je me résolus à supporter tout ce qui m’arriverait avec toute la bravoure dont j’étais capable.

À peine m’étais-je affermi dans ma résolution, que soudainement un grand, long cri, un hurlement, comme jaillissant des gosiers de mille démons, sembla courir à travers l’espace et passer par-dessus notre bateau. Jamais, tant que je vivrai, je n’oublierai l’intense agonie de terreur que j’éprouvai en ce moment. Mes cheveux se dressèrent roides sur ma tête, — je sentis mon sang se congeler dans mes veines, — mon cœur cessa entièrement de battre, et, sans même lever une fois les yeux pour voir la cause de ma terreur, je tombai, la tête la première, comme un poids inerte, sur le corps de mon camarade.

Je me trouvai, quand je revins à moi, dans la chambre d’un grand navire baleinier, le Pingouin, à destination de Nantucket. Quelques individus se penchaient sur moi, et Auguste, plus pâle que la mort, s’ingéniait activement à me frictionner les mains. Quand il me vit ouvrir les yeux, ses exclamations de gratitude et de joie excitèrent alternativement le rire et les larmes parmi les hommes au rude visage qui nous entouraient. Le mystère de notre conservation me fut bientôt expliqué.

Nous avions été coulés par le baleinier, qui gouvernait au plus près et louvoyait vers Nantucket avec toute la toile qu’il pouvait risquer par un pareil temps ; conséquemment, il courait sur nous presque à angle droit. Quelques hommes étaient de vigie à l’avant ; mais ils n’aperçurent notre bateau que quand il était impossible