Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/143

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Seule, Rika Let n’ira pas au bal.

De loin, assise sur le seuil de la grange, elle entend les cuivres et les boyaux, et la retombée des pieds, et les rires et les jurons.

Et dans le crépuscule où se noient lentement les maisons basses du village, au pied du clocher levé vers le ciel comme le doigt vigilant de Dieu, s’illuminent les quatre fenêtres de la salle devant lesquelles se détachent, ainsi que sur un écran rouge, les couples pirouettants, aussi noirs que des diablotins.

Elle ne peut s’arracher à cette contemplation. De la rancœur descend dans son âme jusqu’alors plus blanche qu’un voile de première communiante.

On raconte des choses merveilleuses de Zanne Hokespokes. La petite vieille possède des secrets redoutables : elle donne la clavée aux moutons, tarit les mamelles des vaches, empoisonne les nourrissons. Elle « voit » dans les cartes et le marc du café la destinée de qui la consulte. Aux amantes délaissées elle rend le volage bon ami. Peut-être procurerait-elle un amoureux à Rika l’esseulée ?

Malicieuses suggestions exhalées par le brouillard accablant du soir, la solitude, le spectacle lointain et ironique de la joie des autres. Les couples déhanchés gigotent aussi noirs que des diablotins devant l’écran rouge des fenêtres, la musique stride et dissonne, mais dans les ténèbres s’est enfoncé depuis une heure le clocher du village, levé vers le ciel comme le doigt vigilant de Dieu.

Si, pourtant, profitant de l’absence des maîtres, elle