Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/29

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Klaes et les deux sœurs gagnèrent leurs soupentes, situées sur le derrière de la maison, au-dessus de la cuisine. Elle leur souhaita la bonne nuit. Poussifs et ahanant, ils grimpèrent l’échelette, tandis que deux seaux à la main elle s’enfonçait dans les ténèbres de la cour pour aller puiser de l’eau au fossé du bornage. Ils entendirent le clapotement de ses sabots et le remue-ménage des brosses. En la voyant si vaillante, Klaes, avant de laisser retomber la trappe, lui envoya un dernier « Heu, heu ! » approbateur.

Elle avait remonté ses jupons en les tirant par-dessus les cordons de son tablier. Ses mollets accusaient leur rondeur nerveuse et charnue depuis la cheville dans des bas de laine gris. Dépouillée de sa robe et de son bonnet d’apparat, en casaquin et en serre-tête de coton blanc, des tresses rebelles serpentant sur ses épaules, sa personne prenait un aspect plus dégagé et plus affriolant.

Elle travaillait, les manches retroussées. Elle arrosa d’abord à grande eau le plancher, aussi malpropre qu’une litière, où la bière, les flegmes, la bouse, des culots, des morceaux de pipe, des restes de mangeaille formaient un margouillis gélatineux.

L’eau froide rougissait ses bras rudes. Marchant à reculons, elle traînait sur le plancher la loque grise et ruisselante, rendant trouble et bourbeux le contenu des seaux. La croupe en l’air, elle rinçait et tordait avec rage, lorsqu’elle sursauta tride comme une cavale, humant l’approche de l’étalon. On grattait à la porte. Elle ouvrit avec des précautions de voleuse. Sans préam-