Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/38

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précipitaient hilares et turbulents dans la rue. Baut surgit un des premiers de la poterne. Il avait plus conquérante mine que jamais, le déluré mâtin. Le bonnet vert en cône tronqué, à ganse et à liseret jaune, renversé sur l’oreille un tantinet, le coiffait crânement ; sa veste courte lui donnait de la poitrine et de l’encolure et sa croupe et ses mollets saillaient dans son pantalon gris de fer. Elle en restait ébahie, remuée jusqu’au sang et fut même un temps sans oser l’appeler. Justement il conversait et gesticulait dans un groupe de camarades ; le temps d’allumer leur brûle-gueule et ils l’entraîneraient avec eux vers les quartiers où le soldat s’amuse.

— Baut ! Baut ! cria-t-elle, presque alarmée.

Il avisa la braillarde, rougit et sa physionomie régulière de gamin exprima plus de surprise que de plaisir. Les inquiétudes, les douleurs corporelles et morales avaient passablement cousu le visage rebondi et sanguin de sa première amoureuse. Au cri d’appel poussé par Lusse, l’attention des autres troupiers s’était dirigée sur la particulière. Et Baut Flips constatait qu’en ce moment elle n’était pas de ces payses qui font honneur à leur galant. Il lisait cette conclusion sur les frimousses goguenardes de ses compagnons. Ils attendaient mieux sans doute de ce fringant Baut, un « fricoteur ». Des rires mal étouffés partaient même d’un groupe voisin où des Wallons se gaussaient du grand bonnet et des jupes bouffantes de la Flamande. Il l’aborda bougon ; après un rogue bonjour il lui posa un brusque « Que signifie ? » Cet accueil la crispa, mais depuis des semaines sa sensibilité s’émoussait ; elle se contint.