Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/40

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le notaire. Je commencerai par bâtir une maison aussi grande et plus belle que le Bœuf bigarré et nous te chercherons un remplaçant… En attendant, j’habiterai chez ta mère… Une digne femme, ta mère… Plus tard elle restera avec nous… Tu ne sais pas, elle m’a versé du café aussitôt et m’a fait coucher dans ton lit… oui, dans ton propre lit…

Elle s’efforçait de le dérider et souriait entre ses larmes.

— Rentré au village, tu reprendras ton ancien métier ; je m’appliquerai de mon côté, et tu sais bien que ma pareille n’existe pas. Zanne et Katto en convenaient elles-mêmes… Elles enrageront avec Klaes ; tant mieux. Les sans-cœur ! Ce qu’ils osaient m’offrir ! Vrai, si je ne m’étais enfuie, peut-être m’eussent-ils fait avorter, les salauds !… Accepte, mon Baut ; songe, c’est vingt mille francs, même davantage, que ta femme t’apportera…

À l’accent passionné de Lusse, aux souvenirs et aux images du pays rustique qu’elle évoquait, le fat s’attendrissait. Le respect humain, la peur du ridicule et de la blague l’abandonnaient. Le consentement donné par sa mère à ce mariage ébranlait ses répugnances, et les perspectives de fortune que faisaient miroiter son aimante maîtresse achevèrent de le réconcilier avec elle. Dans un serment emphatique il lui promit de l’épouser et l’autorisa à se présenter comme sa fiancée devant la veuve Flips.

Exultante, Lusse entendit célébrer leurs accordailles. Elle avait eu soin, avant de déserter le Bœuf bigarré, d’empocher quelque cent francs en à-compte sur son