Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/53

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en l’honneur de Baut et de Lusse. Baezine Flips la jeune, en robe de soie noire et en bonnet à rubans roses, constellée de bijoux, ouvrait la marche au bras du petit Baut, habillé de drap noir, en veston, coiffé d’un chapeau de haute forme, comme un monsieur.

Lusse avait voulu que la célébration de son mariage laissât un éternel souvenir d’allégresse à ses partisans et causât un incurable dépit à ses détracteurs.

Après avoir promené leur triomphe jusque dans les cabarets les plus écartés du cœur de la paroisse, le cortège reprit le chemin de la maison maritale.

On était au commencement d’août et le soleil embrasait la plaine dorée de moissons. Le défilé serpentait par les sentes étroites et les drèves, entre des blés encore sur pied et venant a l’épaule des hommes, et des prés embaumés par l’herbe fanée, le long des fossés bordés d’aulnes gibbeux couronnés d’un avare feuillage d’où s’envolaient les lavandières.

Des mioches loqueteux, aussi bruns que le terreau tournaient autour de la caravane, la coupaient, s’embarrassaient dans les jambes des invités et mendiaient la censs ou le liard des kermesses. Baut leur lançait un sou à la gribouillette. De loin en loin, lorsqu’on côtoyait une ferme amie, des fusils et des boîtes éclataient. Les hommes culottés de noir, mais fidèles pour le reste à la blouse bleue luisante et à la casquette de soie soufflée, marchaient derrière les femmes que leurs robes de fête mannequinaient ; les crinolines ballonnaient et les fichus bariolés et frangés, drapés en as de pique se constellaient de parures séculaires. Au-dessus des épis, les