Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/66

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ses landes et ses novales, et de rares railways desservent ses bourgs méconnus.

Le politicien l’exècre, le marchand la méprise, elle intimide et déroute la légion des méchants peintres.

Poètes de boudoirs, ô virtuoses, ce plan pays se dérobera toujours à vos descriptions ! Paysagistes, pas le moindre motif à glaner de ce côté. Ô terre élue, tu n’es pas de celles que l’on prend à vol d’oiseau ! Les mièvres galantins passent devant elle sans se douter de son charme robuste et capiteux ou n’éprouvent que de l’ennui au milieu de cette nature grise et dormante, privée de collines et de cascatelles, et de ces balourds qui les dévisagent de leurs yeux placides et rêveurs.

La population demeure robuste, farouche, entêtée et ignorante. Aucune musique ne me remue comme le flamand dans leurs bouches. Ils le scandent, le traînent, en nourrissent grassement les syllabes gutturales, et les rudes consonnes tombent lourdes comme leurs poings. Ils sont d’allures lentes et balancées, rablés et mafflus, sanguins, taciturnes. Je ne rencontrai jamais plus plantureuses dirnes, mamelles plus décises et prunelles plus appelantes que dans ce pays. Sous le kiel bleu, les gars charnus ont crâne mine et se calent pesamment. Après boire, des rivalités les font se massacrer sans criailleries à coups de lierenaar ; en s’écharpant, ils gardent aux lèvres ce mystérieux sourire des anciens Germains combattant dans les cirques de Rome. En temps de kermesse, ils se gavent, se soûlent, sabotent avec une sorte de solennité gauche, accolent leurs femelles sans madrigaliser, et le bal fini, rassasient le