Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/76

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aux baies mûrissantes. À moi reviendrait la première cueillette, promettait le sympathique garçon.

On nous rappela tandis que je faisais la connaissance de Spits, le chien de garde. Le repas de kermesse nous attendait. Sur le désir formel de mon père qui menaçait de rien manger, la famille, du moins les hommes, prirent place à côté de nous. Quant aux femmes, toutes prétendaient nous servir. Je promenais des regards ravis sur cet intérieur nouveau pour moi : les alcôves en retrait dans la muraille, où couchaient les parents et les aînés, masqués par des courtines de cotonnade à ramages, la cheminée profonde, garnie d’un crucifix et d’assiettes à sujets historiques, la branche de buis bénit suspendue sous le manteau, et les hâtiers énormes, et l’imposante crémaillère.

Yana porta sur la table une marmitée de potage aux choux et au lard dont le parfum eût rendu de l’appétit à un mort.

Chacun se signa, pencha la tête et joignit les mains devant son écuelle d’où la vapeur savoureuse montait comme d’une cassolette en encens symbolique vers la poutre enfumée. Durant quelques secondes, on n’entendit que les lamentations dans l’étable, le bourdonnement des mouches arrêtées aux carreaux et le tintement de l’horloge de S’Gravenwezel chantant midi avec ce timbre argentin et un peu triste des cloches de village.

Le repas exquis que nous fîmes ! Mon auteur entassa les adjectifs les plus sonnants du patois pour dire les mérites de la garbure, moi, je chantais les louanges des