Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/90

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idéales, vous oubliez le masque blême et enfumé, le bec de lièvre, les cheveux neutres de la roussaude.

Elle chante. Un son grêle et cassé part de cette poitrine de poussin éclos avant terme ; une façon de chanterelle grièche, d’harmonica fêlé, sans accent, sans timbre.

Le matin, sur la place, elle récite la mélopée des morgues et des bagnes ; le soir, ils « travaillent » dans les estaminets et passent du sinistre au comique. Le violon attaque des ritournelles folichonnes ; l’enfant se gargarise d’obscénités qui chatouillent la grasse sensualité des buveurs ébaudis. Sous les quinquets puants, dans l’âcre brouillard des pipes, les blouses moites sont secouées de spasmes, les pitauds hoquetant se poussent du coude et soulignent les drôleries en tapant sur la cuisse de leurs voisins. Après le dernier couplet, la petiote, sa sébile dans une main, le paquet de chansons dans l’autre, circule entre les attablées.

Les auditeurs l’accablent de galanteries égrillardes, leurs doigts gourds cherchent de quoi pincer ce squelette, et ces gaillards empâtés en possession légitime ou frauduleuse de dirnes non moins solidement râblées et reintées, ne pardonnent pas à cet avorton sa maigreur anomale en pays des gras.

Elle accepte avec la même impassibilité les censs et les moqueries, les fonds de verres que lui octroient les moins durs et les privautés cruelles que s’attribuent les farauds. Depuis longtemps ses yeux ne se mouillent plus.

Lorsque la recette monte, le couple gratifie la com-