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LA NOUVELLE CARTHAGE

— Et c’est là tout ce que vous savez ? intervient un nouveau venu, De Zater, l’homme toujours ganté. Quel vieux neuf ! Voici bien d’autre nanan : Lucrèce, l’imprenable Lucrèce…

— Eh bien ?

— … a fini par imiter ses petites folles de cousines…

— Avec qui ?

— Avec le nouvel associé de son mari ; le senor Vera Pinto, un Patagon, un Fuégien ou un Chilien, je ne sais au juste…

— Comment ! Le rastaquouère avec qui Freddy Béjard entreprend les transports d’émigrants en Argentine et qui lui a proposé l’opération des cartouches… Messieurs, cette coïncidence ne vous entr’ouvre-t-elle pas des horizons nouveaux, comme on dit au Palais.

— Tu ne prétends pas que le mari soit de connivence avec la femme : ils se détestent trop pour cela.

— Peuh ! L’intérêt les rapproche…

— Voilà donc leur débâcle doublement conjurée. Car, vous n’ignorez pas, je suppose, que le papa Dobouziez vend sa part dans l’exploitation de la fabrique et jusqu’à sa maison… Hé, Tolmoch, combien font les métalliques ?

— Que cornez-vous là ? Le père Dobouziez, ce rigide matois, ce « tirez-vous de là comme vous pourrez ! » se sacrifier pour un autre ! pour un Béjard !

— Ah ça, vous tombez donc tous de la lune… On ne parle que de cette liquidation depuis ce matin, sur le tramway, au port, dans les bureaux…

— Daelmans-Deynze devient propriétaire de l’usine. Le père Saint-Fardier aussi abandonne la fabrication des bougies. Il lâche le beau-père pour commanditer le gendre. Saint-Fardier remplacera Dupoissy, qui manquait de poigne, au bureau des enrôlements pour l’Amérique et c’est lui qui s’occupera de l’emménagement des navires. Il y a des milliers et des milliers de francs à gagner. On annonce le prochain départ de la Gina avec une cargaison de cinq cents têtes.

— Au lieu de bois d’ébène voilà que Béjard se met à vendre de l’ivoire ! dit finement De Zater.

— À propos, De Maes, je vous prends vos consolidés à ferme…

— Dobouziez consent à rester comme directeur aux appointements d’un ministre, m’affirmait à l’instant le caissier de la fabrique.

— Deux mots, Monsieur De Zater, au sujet des huiles : Faut-il acheter ou vendre ?

— Vendre ! Que vous êtes jeune, Tobiel : Télégraphiez sans retard à Marseille et emparez-vous de tout ce qui reste encore sur le marché…