Page:Eekhoud - La nouvelle Carthage.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
164
LA NOUVELLE CARTHAGE

opposée de toutes ses forces. Vous ne connaissez pas encore notre Siska. Elle entretient sur le devoir des idées peut-être très singulières, mais certes très arrêtées. Du moment qu’elle a dit : ceci est blanc et cela noir, vous auriez beau la prêcher, vous ne l’en feriez plus démordre… Savez-vous qu’elle croirait manquer à la mémoire des chers morts vos parents, si jamais elle autorisait une alliance entre sa famille et la vôtre… Vous êtes jeune, Monsieur Laurent, vous possédez un gentil avoir, on vous a donné l’instruction, des parents riches vous laisseront peut-être leur fortune… et vous ferez un parti digne de cette fortune, de cette éducation et de votre nom ; un parti répondant aux vues que vos pauvres chers morts, eux-mêmes, auraient entretenues concernant votre avenir… Voyez-vous votre opulente famille reprocher à notre Siska de vous avoir endossé sa fille et la considérer comme une intrigante, une misérable intruse…

— Vincent ! s’écria Laurent en lui fermant la bouche… Soyez raisonnable, Vincent… Je me moque bien de ma noble famille… Vrai, pour ce qu’il m’en reste, il serait absurde de me contraindre… Vous finiriez, en me parlant ainsi, par me la faire haïr !… Que n’assistiez-vous tout à l’heure à l’accueil que m’a fait ce Dobouziez ! L’âge et les mécomptes l’ont rendu plus pisse-froid que jamais… Je ne suis plus des leurs. Je me demande même si je l’ai jamais été ! Je ne leur dois rien. Nos derniers liens sont brisés… Et c’est à ces parents qui me renient que je sacrifierais mes affections !… Allons, votre refus n’est pas sérieux… Siska sera plus raisonnable que vous…

— Inutile ! Monsieur Laurent. Sachez même que si ma femme avait prévu cette amourette, jamais elle ne vous aurait attiré ici… Épargnez-lui la peine de devoir encore accentuer mon refus…

— Soit, dit Laurent. Mais si mes visites vous importunent, si un faux point d’honneur, oui, je dis bien, tant pis si vous vous fâchez ! vous empêche de m’agréer pour gendre, moi qui comptais si loyalement rendre heureuse votre Henriette ! du moins rien ne vous empêche de m’accepter pour créancier et, désormais, il est inutile d’émigrer…

— Merci encore, Monsieur Laurent, mais nous n’avons besoin de rien… Pour tout vous dire, Jan Vingerhout, le baes de l’« Amérique », votre ami, nous accompagne… Il a réalisé son dernier sou et lui aussi va tenter la fortune dans une autre Amérique…

— Ah ! je devine ! s’écria Paridael. C’est à lui que vous donnez Henriette…

— Eh bien, oui !… Jan est un brave garçon de notre condi-