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LA NOUVELLE CARTHAGE

et les giries intermittentes d’un vapeur tisonné dans sa chambre de chauffe, en prévision du départ matinal.

C’était l’heure des parties en catimini, des priapées hypocrites, des conjonctions honteuses. Noctambules, collet relevé, chapeau renfoncé sur les yeux, se glissaient le long des maisons jaunes et tambourinaient de maçonniques signaux aux portes secrètes des impasses.

Toute régalade, toute assemblée se terminait par un pèlerinage au Riet-Dijk. Les étrangers s’y faisaient conduire le soir après avoir visité, le jour, l’hôtel de l’imprimeur Plantin-Moretus et les Rubens de la Cathédrale. Les orateurs des banquets y portaient leurs derniers toasts.

Les hauts et les bas de ce quartier original concordaient avec les fluctuations du commerce de la métropole. La période de la guerre franco-allemande représenta l’âge d’or, l’apogée du Riet-Dijk. Jamais ne s’improvisèrent tant de fortunes et ne surgirent parvenus aussi pressés de jouir.

Les contemporains se rediront encore les lupercales célébrées dans ces temples par des nababs sournois et d’aspect rassis. À certains jours fastes, les familiers appelaient à la rescousse, réquisitionnaient tout le personnel par une habitude de spéculateurs accaparant tout le stock d’un marché.

Ils se complaisaient en inventions croustilleuses, en tableaux vivants, en poses sadiques, en chorégraphies et pantomimes scabreuses ; prenaient plaisir au travail des lesbiennes, mettaient aux prises l’éléphantesque Pâquerette et la fluette et poitrinaire Lucie.

On composait des sujets d’invraisemblables fontaines ; saoules de champagne, les nymphes finissaient par s’en asperger et consacraient le vin guilleret aux ablutions les plus intimes.

L’armateur Béjard et Saint-Fardier le Pacha organisèrent dans les salonnets multicolores de Mme Schmidt, surtout dans la chambre rouge, célèbre par son lit de Boule, à coulisses et à rallonges, véritable lit de société, des orgies renouvelées à la fois des mièvreries phéniciennes et des exubérances romaines.

Dans ces occasions le Dupoissy, l’homme à tout faire, remplissait les fonctions platoniques de régisseur. C’était lui qui s’abouchait avec Mme Adèle, la gouvernante, débattait le programme et réglait l’addition. Pendant que se déroulaient les allégories de plus en plus corsées de ces « masques » dignes d’un Ben Johnson paroxyste, le glabre factotum, la mine d’un accompagnateur de beuglant, tenait le piano et tapotait des saltarelles de cirque. À chaque pause, les actrices