Page:Eekhoud - La nouvelle Carthage.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
20
LA NOUVELLE CARTHAGE

Jacques Paridael. Un bayeur aux chimères ! Quel mépris le cousin coulait dans ce mot.

Les soirs d’hiver, Laurent se réjouissait de regagner au plus tôt sa chère mansarde. En bas, dans la salle à manger où on le retenait après le dîner, il se sentait importun et gêneur. Que ne l’envoyait-on coucher alors ! S’il réprimait l’envie de s’étirer, s’il bâillait, s’il détachait les yeux de ses livres de classe avant que dix heures, l’heure sacramentelle, n’eût sonné à la pendule, la cousine Lydie roulait ses yeux ronds et Gina se rengorgeait, affectait d’être plus éveillée que jamais, raillait la torpeur du gamin.

Même pendant la journée, après l’une ou l’autre remontrance, Laurent courait se réfugier sous les toits.

Privé de livres, il soulevait la fenêtre en tabatière, montait sur une chaise et regardait s’étendre la banlieue.

Les rouges et basses maisons faubouriennes s’agglutinaient en îlots compacts. La ville grandissante ayant crevé sa ceinture de remparts, menaçait et guignait les ravières d’alentour. Les rues étaient déjà tracées au cordeau à travers les cultures. Les trottoirs bordaient des terrains exploités jusqu’à la dernière minute par le paysan exproprié. Du milieu des moissons émergeait au bout d’un piquet, comme un épouvantail à moineaux, un écriteau portant cette sentence : Terrain à bâtir. Et, véritables éclaireurs, sentinelles avancées de cette armée de bâtisses urbaines, les estaminets prenaient les coins des voies nouvelles et toisaient, du haut de leurs façades banales, à plusieurs étages, neuves et déjà d’aspect sordide, les chaumes trapus et ramassés semblant implorer la clémence des envahisseurs. Rien de crispant et de suggestif comme cette rencontre de la cité et de la campagne. Elles se livraient de véritables combats d’avant-postes.

La mine pléthorique, contrainte, sournoise de ce paysage offusqué par des talus de fortifications : des portes crénelées, sombres comme des tunnels, écrasées sous des terre-pleins, des murailles percées de meurtrières, des casernes dont les clairons plaintifs répondaient à la cloche de l’usine.

Trois moulins à vent, épars dans la plaine, tournaient à pleine volée, jouissaient de leur reste en attendant de partager le sort d’un quatrième moulin dont la maçonnerie dominait piteusement le blocus auquel le soumettait un tènement de bicoques ouvrières, et à qui ces assiégeants de mine parasite et d’allure canaille, quelque chose comme des oiseleurs ivres, avaient coupé les ailes !

Laurent compatissait au pauvre moulin démantelé, sans toutefois parvenir à détester la population des ruelles qui