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V

Le Fossé.


Ces vacances-là passèrent comme les autres, avec cette seule différence que dans la grande maison meublée à neuf, Laurent fut encore plus négligé et plus abandonné à lui-même que d’habitude. Il en arrivait à envier le sort des vieux meubles mis au rancart et voués au repos dans l’ombre et la poussière des greniers. Du moins s’ils avaient cessé de plaire ne leur imposait-on pas d’humiliants contacts avec leurs successeurs, tandis que lui, qui n’avait jamais plu, continuait pourtant de figurer comme un disparate, un repoussoir chagrin dans cet assortiment de bibelots cossus et de plantes frileuses. Il se sentait de plus en plus déplacé dans ce milieu riche et exclusif. En attendant qu’il eût le droit, la liberté de s’en aller retrouver d’autres disgraciés parmi ses semblables, il lui tardait de regagner la nuit, dans son coin de resserre, sous les toits, les objets répudiés et bannis.

Et pourtant, aussi mornes et longues que lui paraissaient ces vacances, à peine retourné au collège il se surprenait à les regretter pour l’amour même des heures maussades !

De son séjour chez ses tuteurs, c’étaient précisément les circonstances mélancoliques qu’il se rappelait avec le plus de complaisance et de la fabrique, c’étaient aussi les objets les moins gracieux, les moins aimables, frustes ou rêches, qui le hantaient pendant l’étude ou l’insomnie. En aversion des jacinthes qui lui symbolisaient la dureté de sa belle cousine pour les pauvres gens, il eût collectionné des bouquets fanés et des fleurs rustiques. Aux coûteux brugnons réservés à