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La Guigne


Mais lorsque vint l’hiver il fallut aviser.
« Va, cueille maintenant des roses sous la neige.
À défaut d’un bouquet, il te reste un baiser.
L’été, la belle enfant, tu pouvais refuser ;
Aujourd’hui l’oiseleur te guette et tend son piège :
Choisis entre la honte et la faim qui t’assiège. »

C’est ce que lui disaient, dans leur argot concis,
Les jeunes ouvriers qui vaguaient autour d’elle,
Car elle était, malgré sa misère, encor belle ;
Et les rouges souillons, aux charmes épaissis,
Ne riaient qu’en dessous, l’ancienne demoiselle
Ne perdant pas un seul de ses galants transis.

Un jour, je ne sais plus quelle insulte grossière
Ou quel propos moqueur, subtil dans son venin,
Fit que sur un visage aussi peu féminin
Que peut l’être celui d’une lourde fruitière,
De la Guigne en courroux vint s’abattre la main.
Mais le soufflet vibra dans la ruelle entière.

Les femmes d’accourir et les chiens d’aboyer ;
Toutes pour l’insulteur de prendre fait et cause,
De l’entourer, de geindre et de s’apitoyer.