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La Guigne


Les différents pays, les diverses époques,
L’histoire, le roman, l’idéal, le réel,
Dans ce tohu-bohu mélangeaient leurs défroques ;
Les marquis s’oubliaient dans d’intimes colloques
Avec des paysans badois ; peu solennel,
Un moine lutinait le démon Uriel.

Il planait dans cet air des arômes sauvages.
Les fleurs, en se fanant aux cheveux, aux corsages,
Mettaient dans leurs adieux leur parfum le plus fort,
Comme un dernier soupir arraché par la mort,
Et, rien qu’en les sentant, rougissaient les visages,
Et la chair frissonnait dans un vague transport.
 
Longtemps le Veloureux contempla cette scène,
Étourdi par le bruit, ébloui par le gaz,
Muet comme ahuri, retenant son haleine,
Gagnant peur, ce plaisir lui causant de la peine.
« Dis donc, beau masque, es-tu venu de Carpentras ? »
Il se retourne, il cherche… Il était seul… Hélas !

La Guigne disparue !… et cela sans rien dire.
Quand à l’instant encore il lui tenait la main !
Mais pourquoi s’alarmer ? Il se prend à sourire…