Page:Eiffel - La tour Eiffel en 1900, 1902.djvu/27

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sérieusement menacée : cet incomparable carré de sable qu’on appelle le Champ-de-Mars, si digne d’inspirer les poètes et de séduire les paysagistes.

Vous pouvez exprimer ce regret à ces Messieurs. Ne leur dites pas qu’il est pénible de ne voir attaquer l’Exposition que par ceux qui devraient la défendre ; qu’une protestation signée de noms si illustres aura du retentissement dans toute l’Europe et risquera de fournir un prétexte à certains étrangers pour ne point participer à nos fêtes ; qu’il est mauvais de chercher à ridiculiser une œuvre pacifique à laquelle la France s’attache avec d’autant plus d’ardeur, à l’heure présente, qu’elle se voit plus injustement suspectée au dehors. De si mesquines considérations touchent un ministre : elles n’auraient point de valeur pour des esprits élevés que préoccupent avant tout les intérêts de l’art et l’amour du beau.

Ce que je vous prie de faire, c’est de recevoir la protestation et de la garder. Elle devra figurer dans les vitrines de l’Exposition. Une si belle et si noble prose signée de noms connus dans le monde entier ne pourra manquer d’attirer la foule et, peut-être, de l’étonner.


« Cette page bien française a dû étonner quelque peu les expéditionnaires du Ministère ; la correspondance administrative n’est malheureusement d’ordinaire ni si vive, ni si gaie, ni si spirituelle ; sa sévérité s’accommode mal à nos vieilles traditions gauloises. Si M. Lockroy pouvait faire école, l’exercice des fonctions publiques serait moins monotone et certainement mieux apprécié. Le ministre avait su mettre les rieurs de son côté. Son procès était gagné. »

Je dois ajouter, pour être juste, que les plus célèbres parmi les signataires de la protestation lue plus haut s’empressèrent, une fois l’œuvre achevée et consacrée par le succès, de me témoigner leur regret d’avoir cédé aux importunités de ceux qui colportaient ce ridicule factum et d’y avoir donné leur signature. Mais il n’en est pas moins vrai que, s’il s’était produit avant qu’il ne fût beaucoup trop tard pour être d’un effet quelconque, il aurait rendu plus difficile encore l’appui que le Ministre, M. Lockroy, accorda au projet, et il en aurait peut-être empêché la réalisation, et ce au grand préjudice de l’Exposition de 1889, dont la Tour a été sans conteste un des plus sérieux éléments de succès.

On me permettra de rappeler ce que je disais moi-même dans un entretien que j’eus à ce sujet avec M. Paul Bourde et qui fut reproduit dans le journal Le Temps :