Page:Elder - Le Peuple de la mer.djvu/64

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gnon en casque et une robe légère, remplissait les verres d’eau-de-vie blanche, en penchant sa forte poitrine au ras des visages. Mais les hommes qui aimaient à la flatter d’habitude, avec des regards équivoques, l’ignoraient, le front lourd de soucis, l’œil fixe.

Dehors la mer tumultueuse occupait toute la nuit et le vent secouait les portes comme un hôte oublié. Sous la lampe, les pêcheurs faisaient le gros dos, serrant près à près les vareuses festonnées de blanc par les dépôts salins, et leurs rudes trognes sauries où brasillaient les prunelles. La conversation était sourde comme un complot. Mais si quelqu’un avançait que le Dépit des Envieux naviguait bien au plus près, Perchais hurlait :

— Du bois neuf pardi ! c’est léger comme un bouchon !

Et si une autre voix signalait sa rentrée le premier, vent arrière, il lançait à nouveau :

— Un sabot ! une charrette ! tout fout l’camp aux allures portantes !

Douze fois la fille de Zacharie remplit les verres. L’alcool ensanglantait les visages, soulevait les bras en menace dans la fumée des pipes. La haine commune entretenait l’entente et lorsque la femme de Perchais emmena son homme de force, les pêcheurs se dispersèrent, sans se battre, dans les ténèbres compactes où criait la mer.