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mortes et se tamisait en bandes obliques à travers les fenêtres sur le vieux mobilier et sur les bibelots qui garnissaient l’antichambre dans laquelle elle avait posé en Hermione. Ce souvenir s’offrait précisément à elle en ce moment ; elle se rappelait que Klesmer avait admiré sa pose et son expression. Ce qu’il avait dit, ce qu’elle s’imaginait qu’il avait pensé, était alors d’un vif intérêt pour elle ; car, jusque-là, jamais elle ne s’était sentie aussi dépendante, aussi nécessiteuse de l’opinion d’autrui.

Afin d’occuper ses loisirs en l’attendant, elle mit en ordre ses volumes et ses cahiers de musique, et, tout en les posant sur le piano, elle vit ses mouvements se refléter dans la glace. Elle prit plaisir à se contempler et marcha un peu automatiquement vers le miroir. En voyant s’avancer son image, elle se dit : « Je suis belle ; » toutefois, elle ne prononça pas ces mots d’un ton triomphant, mais plutôt avec une décision grave.

Elle ne continua pas longtemps cet examen de ses charmes ; un bruit de roues et des portes qui s’ouvraient, vinrent lui apprendre que son attente allait être satisfaite. Son agitation intérieure devint extrême ; elle redoutait maintenant le jugement de Klesmer. Pauvre jeune fille ! elle touchait à une crise de sa vie bien plus intense que celle de sa dernière expérience avec Grandcourt.

Klesmer la salua respectueusement dès l’antichambre ; elle marcha vers lui avec une gravité inaccoutumée et dit, en lui tendant la main :

— Vous êtes bien bon d’être venu, herr Klesmer. J’espère que vous ne me jugez pas trop présomptueuse.

— J’ai considéré votre désir comme un ordre qui me faisait honneur, répondit Klesmer avec solennité. En réalité, il avait laissé ses propres affaires pour donner toute son attention à ce que Gwendolen pouvait avoir à lui dire ; mais il était encore trop agité par les événements de la