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Mais il y avait autre chose à considérer. La question d’amour pour Grandcourt l’avait à peine occupée ; il lui avait toujours semblé que ce n’était pas l’amour qui rendait le mariage désirable, et que, si l’un des deux devait s’amouracher de l’autre, cette part revenait à l’homme, puisqu’il devait faire les avances. Elle n’avait point vu d’objections à ce que Grandcourt s’enamourât d’elle avant qu’elle connût son passé ; mais elle considérait ce passé comme une offense à elle faite, et c’est en se reportant à ce souvenir qu’elle avait décidé qu’elle n’accepterait pas Grandcourt.

Si aujourd’hui quelque chose pouvait amener de sa part un changement de résolution, c’était la prévision de pouvoir rendre la vie plus facile à sa « pauvre maman ». Mais non ! elle allait le refuser ; elle allait exercer son pouvoir.

Est-ce cette idée qui fît palpiter son cœur quand elle entendit les pas des chevaux sur le gravier ; quand miss Merry, qui avait ouvert la porte à Grandcourt, vint lui dire qu’il était au salon ? En y entrant de son côté, elle dut faire appel à toute son énergie pour paraître gracieuse en lui tendant gravement la main et en répondant à sa question sur sa santé d’une voix aussi basse et aussi languissante que la sienne. Quand tous deux furent assis, Gwendolen droite et les yeux baissés, Grandcourt éloigné d’elle de quelques pas, s’appuyant d’un bras sur le dos de sa chaise et tenant son chapeau dans l’autre main, celui qui les aurait vus ainsi les aurait pris pour deux amoureux en suspens. Et, en vérité, ils en étaient là.

— J’ai été bien désappointé de ne pas vous trouver à Leubronn, commença Grandcourt avec son ton de langueur amoureuse. L’endroit me semblait intolérable sans vous. C’est un chenil, n’est-ce pas ?

— Je ne saurais dire ce qu’il est sans moi, répondit-elle en levant les yeux vers lui d’un air peu bienveillant. J’aurais aimé y rester plus longtemps si j’avais pu ; mais j’ai