Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/333

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superstitieuse, due peut-être à la violence qu’il avait exercée sur sa pensée et à l’idée que son intervention dans sa vie pouvait présager une influence future. Elle employa le temps qui précéda le lunch à parcourir toutes les chambres avec madame Torrington et madame Davilow ; elle pensa qu’il était probable que, quand elle verrait Deronda, elle n’aurait besoin que de lui rendre son salut, sans plus faire attention à lui. Mais, dès qu’elle fut revenue dans la salle, elle ne cessa plus de l’observer. Quand la société prit place au lunch, Grandcourt dit :

— Deronda, miss Harleth me dit que vous ne lui avez pas été présenté à Leubronn.

— Je ne crois pas que miss Harleth se souvienne de moi, répondit Deronda ; elle était trop sérieusement occupée quand je l’ai vue.

Pouvait-il supposer qu’elle le soupçonnait d’avoir racheté son bracelet ?

— Vous vous trompez, monsieur, s’écria Gwendolen, je me souviens parfaitement de vous. Vous ne m’approuviez pas de jouer à la roulette.

— Comment en êtes-vous arrivée à cette conclusion ? demanda gravement Deronda.

— Vous avez jeté le mauvais œil sur mon jeu, répondit-elle en souriant. Dès que vous êtes venu le regarder, j’ai perdu. J’avais toujours gagné jusque-là.

— La roulette, dans un chenil comme Leubronn, est un ennui horrible, dit Grandcourt.

— Je n’ai trouvé que c’était un ennui que quand j’ai commencé à perdre, observa Gwendolen en se tournant souriante vers Grandcourt ; mais, en lançant un coup d’œil de côté sur Deronda, elle vit ses yeux fixés sur elle avec une pénétration si grave, qu’elle en fut impressionnée plus désagréablement encore que de son sourire ironique lorsqu’elle perdait. Sa voix, que pour la première fois