Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/338

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rais-je empêcher ce que d’autres ont fait ? Les choses ne reviendraient pas meilleures si je déclarais maintenant que je ne veux pas épouser M. Grandcourt. » Le refus n’était donc plus en question, et les chevaux du char qui l’emportait couraient à toute vitesse.

Elle n’avait plus d’autre pensée que la chasse où elle verrait Deronda et serait vue par lui. Sa résolution de ne pas recommencer la folie de la veille était bien prise, mais elle mourait d’envie de lui parler. Elle fut contrariée, car la chasse fut absorbante, et, quoique Deronda se trouvât souvent non loin d’elle, aucun accident ne les rapprocha. Au retour, elle revint, escortée par les hôtes de Diplow qui voulaient l’accompagner jusque près d’Offendene. Elle était désappointée, irritée de n’avoir pas eu l’occasion de parler à Deronda, qu’elle ne reverrait probablement plus, puisqu’il devait partir dans deux jours. Que lui aurait-elle dit ? Elle n’en savait rien, mais elle voulait lui parler. Grandcourt était auprès d’elle ; madame Torrington, son mari et un autre gentleman avaient pris l’avance, et derrière elle résonnait le pas du cheval de Deronda. Son désir de lui parler et de l’entendre devint d’autant plus irrésistible qu’il n’y avait pas de chance d’y parvenir autrement qu’en affirmant sa volonté et en défiant tout. Le bruit des fers qu’elle entendait à une faible distance l’agaçait. Elle retint son cheval et se retourna ; Grandcourt s’arrêta aussi ; alors elle lui dit avec une arrogance enjouée :

— Continuez d’avancer, je veux parler à M. Deronda.

Grandcourt hésita ; la situation lui parut embarrassante. Pas un gentilhomme, avant son mariage, ne se serait permis de répondre par un refus à un ordre donné sur un ton si badin. Il reprit donc la route et elle attendit Deronda. Celui-ci la regarda d’un œil interrogateur, et elle lui dit en faisant marcher son cheval à côté du sien :