Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/358

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avez été sur le point de mourir de chagrin lorsque vous pensiez que je refusais d’être madame Grandcourt !

— Tais-toi, tais-toi, mon enfant, pour l’amour de Dieu ! Comment pourrais-je ne pas sentir que je vais me séparer de toi ? Mais je supporterai tout avec joie si tu es heureuse.

— Non, pas avec joie, maman, non ! dit Gwendolen en hochant la tête et avec un bon sourire. Vous le supporterez volontiers, mais toujours tristement. La tristesse est inséparable de vous-même ; c’est l’assaisonnement de tous vos aliments ; vous ne leur trouveriez point de goût sans cela. Alors, saisissant sa mère par les épaules et la couvrant de baisers, elle lui dit gaiement : — Vous serez triste parce que j’aurai tout en abondance, parce que je pourrai jouir de tout : maisons, villas, chevaux, voitures, diamants ! Oui, j’aurai des diamants, j’irai à la cour, je serai une lady certainement, et toujours vous aimant mieux que qui que ce soit au monde !

— Mon enfant chérie !… Ah ! je ne serai pas jalouse si tu aimes ton mari mieux que moi. Il a le droit de s’attendre à être le premier dans ton cœur.

Gwendolen avança la lèvre inférieure en faisant une jolie grimace, et dit :

— C’est là une attente assez ridicule ; mais je ne serai pas mauvaise pour lui, à moins qu’il ne le mérite.

Les deux femmes se jetèrent dans les bras l’une de l’autre, et Gwendolen ne put retenir un léger sanglot quand elle dit :

— Je voudrais bien que vous vinssiez avec moi, maman.

La légère rosée qui brillait sur ses longs cils la rendit plus charmante encore lorsqu’elle donna la main à Grandcourt pour aller jusqu’à la voiture. Le recteur s’avança alors pour prendre congé.

— Dieu vous bénisse ! dit-il ; nous nous reverrons avant peu ; puis il retourna auprès de madame Davilow, à laquelle