Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/373

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Il était impossible de répondre par l’approbation ou par le doute. Madame Meyrick et Deronda échangèrent un coup d’œil rapide : la petite mère éprouvait comme lui une sensation pénible en pensant à ce frère. Mais Mirah, absorbée dans ses souvenirs, continua :

— N’est-ce pas étonnant que je me rappelle mieux les voix que toute autre chose ? Je crois qu’elles entrent en nous plus profondément. Je me suis souvent figuré que le ciel est peuplé de voix.

— Comme votre chant, dit Mab, qui, jusque-là, avait modestement gardé le silence et qui parla avec humilité comme elle le faisait toujours en présence du prince Camaralzaman. Chère maman, priez donc Mirah de chanter. M. Deronda ne l’a pas encore entendue.

— Vous déplairait-il de chanter maintenant ? lui demanda Deronda, avec une amabilité plus respectueuse que jamais.

— Oh ! cela me fera plaisir, répondit-elle ; ma voix est un peu revenue avec le repos.

Peut-être l’aisance de ses manières était-elle due à quelque chose de plus que la simplicité de sa nature. Les circonstances de sa vie l’avaient fait penser à tout ce qu’elle faisait comme à un devoir que l’on exigeait d’elle et dans lequel l’affection n’entrait pour rien ; elle avait commencé à travailler avant même d’avoir eu la conscience d’elle-même. Elle alla se mettre au piano, pauvre petit instrument fatigué, qui sembla porter plus facilement le poids de ses infirmités quand ses petits doigts préludèrent sur ses touches d’ivoire. Deronda s’assit où il pouvait mieux la voir, et le calme dont elle avait toujours fait preuve n’en fut aucunement affecté.

Placé comme il était, Deronda voyait ses cheveux noirs relevés sur les tempes et dont la masse roulée en nœud épais tombait élégamment sur sa nuque. Il admirait son profil de camée ; son bel œil surmonté d’un sourcil que