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dant on peut honorer ses parents sans suivre leurs notions plus exactement que la coupe de leurs habits. Mon père était calviniste écossais, et ma mère calviniste française. Je ne suis ni tout à fait Écossaise, ni tout à fait Française, ni deux calvinistes réunis en un seul ; cependant, j’honore la mémoire de mes parents !

— Mais je ne puis faire que je ne sois pas juive, même si je changeais de croyance, répondit Mirah en insistant.

— Non, ma chère. Mais, si les juifs continuent à changer de religion, de façon à ce qu’il n’y ait point de différence entre eux et les chrétiens, il viendra un temps où l’on ne verra plus de juifs, dit madame Meyrick en prenant gaiement cette conclusion.

— Oh ! je vous en prie, ne dites pas cela, s’écria Mirah, les larmes aux yeux. C’est la première chose peu obligeante que vous ayez dite. Je ne puis accepter cela. Je ne me séparerai jamais du peuple de ma mère. J’ai été forcée de fuir mon père ; mais s’il m’arrivait vieux et faible et qu’il eût besoin de moi, pourrais-je dire : « Ce n’est pas mon père ! » S’il a eu de la honte, je dois la partager. C’est lui qui m’a été donné pour père et non un autre. Il en est ainsi de mon peuple. Je veux toujours être juive. J’aimerai les chrétiens s’ils sont bons comme vous, mais je resterai toujours attachée à mon peuple. Je veux toujours adorer Dieu avec eux.

À mesure qu’elle parlait, Mirah s’était laissé emporter par une colère douloureuse, fervente, mais non violente. Avec ses petites mains convulsivement pressées l’une contre l’autre, pendant qu’elle regardait madame Meyrick en suppliante, elle semblait à Deronda la personnification de cet esprit qui poussa des hommes, ayant cependant professé le christianisme, à abandonner fortune et grandeurs, à risquer même leur vie pour pouvoir rejoindre leur peuple et dire : « Je suis juif ! »