Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/94

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Mais, quand la porte s’ouvrit et que celle dont il attendait la venue avec tant d’impatience entra, il eut comme un accès de frayeur et de défiance qu’il n’avait encore jamais ressenti. Gwendolen, dans sa robe noire qui faisait ressortir la blancheur de son teint, un ruban noir passé dans les cheveux, dont il retenait les flots abondants, avait l’air plus tranchant que d’habitude. Était-ce parce que, la veille, il lui avait parlé d’amour ? Était-ce, au contraire, l’ennui causé par son accident ? Peut-être l’un et l’autre. Mais la sagesse des nations prétend qu’il y a un côté du lit qui a une mauvaise influence, et Gwendolen s’était levée de ce côté-là. La hâte avec laquelle sa toilette avait dû être terminée, la manière dont Bugle l’avait peignée, le manque d’intérêt de l’article du journal qui devait l’amuser, les probabilités peu attrayantes de la journée, les institutions sociales, tout, en un mot se conjurait pour l’agacer ; non qu’elle fût de mauvaise humeur, au moins ; mais le monde entier n’était pas à la hauteur des besoins de son organisme incomparable.

Elle tendit la main à Rex sans qu’un sourire parût ni dans ses yeux ni sur sa bouche. Sa franche gaieté de la veille avait disparu, et le souvenir de la mésaventure de son cousin lui paraissait ridicule.

— J’espère que votre blessure n’est que peu de chose, Rex, lui dit-elle avec assez d’amabilité ; je mérite que vous me fassiez des reproches.

— Pas du tout, répondit Rex qui sentait l’émotion s’emparer de lui ; cela ne vaut pas la peine qu’on en parle. Je suis heureux que vous vous soyez amusée ; je ferais volontiers une nouvelle chute pour que vous ayez du plaisir. Je n’éprouve de regrets que pour les genoux du cheval.

Gwendolen s’approcha de la cheminée et regarda le feu, ce qui ne permettait à Rex de voir qu’une faible partie de sa figure.