Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/100

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vous ne comprenez pas la morbidezza et ces choses-là. J’espère que vous viendrez chez moi et je vous montrerai ce que j’ai fait dans cette branche, poursuivit-il en s’adressant au jeune Ladislaw, lequel jusque-là observait Dorothée avec une attention profonde.

Ladislaw s’était mis dans la tête que ce devait être une déplaisante personne, puisqu’elle allait épouser Casaubon, et ce qu’elle venait de dire de sa stupidité à propos des tableaux l’aurait confirmé dans son opinion, si même il l’avait crue sincère. Il ne vit pour le moment dans les paroles de Dorothée qu’une critique dissimulée et il se tint pour assuré qu’elle trouvait son esquisse détestable. Il y avait trop de finesse dans sa réponse ! Elle se moquait de lui et de son oncle. Mais quelle voix ! C’était comme la voix d’une âme ayant vécu jadis dans une harpe éolienne. Quelle inconséquence de la nature ! Il n’y avait pas place pour la passion chez une jeune fille qui se décidait à épouser Casaubon ! Cependant il se détourna d’elle et remercia M. Brooke de son invitation.

— Nous verrons ensemble mes gravures italiennes, poursuivit cet excellent homme. J’ai une quantité innombrable de ces choses que j’ai mises de côté depuis bien des années. On se rouille dans ce coin de la province, vous savez… excepté vous, Casaubon, qui persévérez dans vos études ; quant à moi, mes meilleures idées arrivent à être au-dessous de tout… hors d’usage, vous savez… Vous autres, jeunes gens bien doués, gardez-vous-de l’indolence ; c’est l’indolence qui m’a perdu ; sans quoi, il fut un temps ou j’aurais pu réussir à tout !…

— Voilà une petite admonition opportune, dit M. Casaubon ; mais, à présent, nous allons rentrer, de peur que ces jeunes dames ne soient fatiguées de rester debout.

Quand ils se furent éloignés, le jeune Ladislaw se remit à son dessin ; tout en travaillant, sa figure prenait une expres-