Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/11

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du martyre, s’en détourner ensuite, et finir par le rencontrer du côté où elle ne l’avait pas cherché. De telles dispositions de nature chez une jeune fille à marier ne pouvaient manquer d’exercer une influence décisive sur son avenir ; le choix qu’elle ferait un jour ne dépendrait certainement pas des apparences, de la vanité, d’un sentiment banal ni de rien de ce qui décide la plupart du temps de la destinée d’une jeune fille. Et, avec cela, Dorothée, l’ainée des deux sœurs, n’avait pas vingt ans. Depuis la mort de leurs parents, il y avait six ou sept ans de cela, leur oncle et tuteur, célibataire, avait fait donner aux deux orphelines, d’abord au sein d’une famille anglaise, puis d’une famille suisse, à Lausanne, une éducation la fois étroite et mal ordonnée.

Il y avait un an à peine qu’elles étaient venues se fixer à Tipton-Grange chez leur oncle, homme d’une soixantaine d’années, d’un caractère facile, d’opinions flottantes, qui avait voyagé dans sa jeunesse et passait dans son comité pour avoir contracté une disposition d’esprit un peu vagabonde. Il était aussi difficile de pressentir les résolutions de M. Brooke que de prédire le temps ; ce qu’il était plus facile d’affirmer, c’est qu’il agirait toujours dans les meilleures intentions, quitte à dépenser le moins d’argent possible à leur exécution.

Chez M. Brooke, la sève héréditaire d’énergie puritaine était visiblement tarie, mais elle apparaissait chez sa nièce Dorothée, dans ses défauts comme dans ses qualités ; Dorothée éclatait parfois d’impatience contre les discours de son oncle et sa manière de « laisser aller les choses » dans la province, et aspirait de toutes ses forces au temps où elle serait majeure et aurait à sa disposition quelque argent à consacrer à des œuvres généreuses. On la considérait comme une héritière, car non seulement les deux sœurs jouissaient chacune de sept cents livres de rente qu’elles tenaient de leurs parents, mais encore si Dorothée se mariait