Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/123

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— Cela se voit, mon amour ; car vous en avez déjà refusé, ou à peu près, toute la crème ; et, s’il y a mieux à attendre, je suis bien sûre que nulle jeune fille ne le mérite mieux que vous.

— Pardon, maman, je voudrais bien que vous ne vous servissiez pas de ce terme : la crème des jeunes gens.

— Comment ! n’est-ce point cela ?

— Je veux dire, maman, que l’expression est un peu vulgaire.

— Très probablement, ma chère ; je n’ai jamais eu un langage recherché. Comment devrais-je dire ?

— Les mieux d’entre eux.

— Eh bien, cela me semble tout aussi ordinaire et aussi commun. Si j’avais pris le temps de réfléchir, j’aurais dit les jeunes gens de qualité supérieure. Mais, avec votre éducation, vous devez savoir ces choses mieux que moi.

— Qu’est-ce que Rosy doit savoir, ma mère ? dit Fred qui s’était glissé inaperçu dans la chambre par la porte entr’ouverte, et qui vint s’appuyer le dos à la cheminée, chauffant la semelle de ses pantoufles, tandis que les deux femmes étaient penchées sur leur ouvrage.

— S’il est bien de dire « les jeunes gens de qualité supérieure » dit mistress Vincy en tirant le cordon de la sonnette.

— Oh ! il y a tant de thés et de sucres de qualité supérieure à présent. Le mot supérieur est en train de faire partie de l’argot des épiciers.

— Allez-vous donc commencer à faire fi de l’argot ? dit Rosemonde avec une douce gravité.

— Du mauvais genre d’argot, seulement. Tout choix de mots constitue un argot. C’est à cela qu’on reconnaît les différentes classes de la société.

— Il y a l’anglais correct, qui n’est pas un argot.

— Je vous demande pardon. L’anglais correct est l’argot des fats qui écrivent des essais et de l’histoire. Et l’argot, le plus argot de tous, c’est celui des poètes.