Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/148

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qui ne fût pas de Middlemarch et n’eût que des relations étrangères aux siennes. Depuis quelque temps déjà, elle échafaudait son rêve sur un titre de baronnet. Maintenant qu’elle avait rencontré l’étranger, la réalité lui semblait bien plus émotionnante encore que l’attente, et Rosemonde ne pouvait douter d’être arrivée à l’heure décisive de sa vie. Elle jugeait que les symptômes qu’elle éprouvait étaient ceux d’un amour naissant, et trouvait beaucoup plus naturel encore que M. Lydgate fût tombé amoureux d’elle à première vue. Ces choses-là arrivaient si souvent au bal, pourquoi n’arriveraient-elles pas aussi à la lumière du matin, alors que le teint apparaît dans toute sa fraîcheur ? Rosemonde, sans être plus vieille que Mary, était assez habituée à ce qu’on devînt amoureux d’elle ; mais, pour sa part, elle était toujours restée indifférente, pleine d’ironique dédain pour les beaux jeunes gens et les célibataires fanés. Et voilà tout à coup ce M. Lydgate qui se trouvait répondre à son idéal, absolument étranger à Middlemarch, avec un air de distinction, marque d’une bonne naissance, et des relations de famille ouvrant des portes sur ce paradis de la classe moyenne qu’on appelle « l’aristocratie » ; c’était en outre un homme de valeur qu’il serait particulièrement délicieux de rendre esclave ; un homme enfin qui avait touché son cœur d’une façon toute nouvelle et apporté dans sa vie un intérêt ardent, plus doux que tous les projets imaginés déjà en opposition avec sa vie actuelle.

Le frère et la sœur, en revenant à cheval, étaient ainsi tous deux préoccupés et disposés au silence. Si le rêve de Rosemonde avait reposé sur une base fragile comme celle de tous les rêves, maintenant que les fondements en étaient jetés, son imagination devint des plus positives et entra dans les plus minces et les plus prosaïques détails ; ils n’avaient pas fait un mille que déjà elle était en plein dans les toilettes et les présentations de sa vie de femme ; elle