Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/173

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puisse se souvenir. Chez les hommes, c’est différent. Mais pour une jeune fille, c’est toujours quelque nouveau visage qui la séduit !

— Voyons un peu, dit Mary rapprochant en cœur les coins de sa bouche. Cherchons des exemples : Il y a Juliette qui confirme ce que vous dites. D’autre part, Ophélie avait dû longtemps connaître Hamlet ; et Brenda Troil avait connu Mordaunt Merton depuis son enfance ; il est vrai que ce devait être un bien estimable jeune homme. Waverley était nouveau pour Flora Mac-Ivor, mais elle n’était pas amoureuse de lui. Nous avons encore Olivia et Sophie Primrose, et Corinne, qui se sont éprises d’étrangers, si l’on veut. En somme mes exemples se balancent.

Mary leva sur Fred un regard plein de malice et ce regard lui fut très doux, bien que les yeux de la jeune fille ne fussent que de claires fenêtres où l’on voyait une réflexion prête à éclater de rire. Fred était sûrement un garçon aimant, et, durant son passage de l’enfance à l’âge d’homme, il était devenu amoureux de son ancienne compagne de jeu, en dépit de la haute éducation qu’il avait reçue et qui avait exalté ses idées sur le rang et la fortune.

— Quand un homme n’est pas aimé, à quoi lui sert-il de dire qu’il pourrait être meilleur et capable de tout ? S’il était sûr d’être aimé, à la bonne heure ! dit Fred.

— En effet, il ne lui est pas de la plus petite utilité dans le monde de dire qu’il pourrait être meilleur : Pourrait, saurait, voudrait, ce sont là de tristes auxiliaires.

— Je ne vois pas, d’ailleurs, quelles raisons un homme aurait d’être bon, s’il ne se sent pas tendrement aimé.

— Il me semble que la bonté pourrait lui venir d’abord.

— Vous croyez cela, Mary. Ce n’est pas pour leur bonté que les femmes aiment les hommes.

— C’est possible ; mais, lorsqu’elles les aiment, elles ne les trouvent jamais méchants.