Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/18

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la fenêtre. Sa pensée cherchait pendant ce temps à justifier le plaisir qu’elle prenait aux vives couleurs de l’émeraude, en l’associant à un sentiment de joie mystique et religieux.

— Aimerais-tu ces bijoux-là, Dorothée ? interrogea Célia avec une sorte d’hésitation, commençant à trouver à sa grande surprise que sa sœur montrait trace de faiblesse, et aussi que les émeraudes siéraient peut-être mieux à son teint que les améthystes pourpres. Prends au moins ce bracelet et cette bague. Mais vois ces agates, comme elles sont belles et tranquilles.

— Oui, dit Dorothée, je les garderai tous les deux. Puis, laissant retomber sa main sur la table, elle ajouta d’un ton de voix différent : Et ce sont pourtant de pauvres gens qui trouvent ces pierres, qui les travaillent et qui les vendent ! Elle s’arrêta encore et Célia pensa que sa sœur, en bonne logique, allait renoncer aux bijoux. Oui, chérie, je les garderai, répéta Dorothée, bien décidée cette fois. Mais, toi, emporte cette cassette dont le contenu t’appartient.

Elle prit son crayon sans ôter les bijoux qu’elle continuait d’admirer. Elle se disait qu’elle les aurait auprès d’elle pour abreuver ses yeux à ces petites sources de couleur pure.

— Les porteras-tu dans le monde ? demanda Célia qui l’observait réellement curieuse de bien connaître sa pensée.

Dorothée jeta un rapide regard à sa sœur. Au travers de tous les attraits dont son imagination parait ceux qu’elle aimait, perçait parfois une lucidité de discernement qui n’était pas sans causticité. Si jamais miss Brooke parvenait à une douceur parfaite, on ne pourrait pas l’imputer à un manque de feu intérieur.

— Peut-être, dit-elle avec un léger accent de dédain ; je ne saurais te dire jusqu’où je pourrai descendre.

Célia rougit et se sentit malheureuse. Elle vit qu’elle avait blessé sa sœur et, emportant le coffret, elle n’osa plus