Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/189

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Paris, abandonnant, sans avertir personne, sa petite cour d’admirateurs.

Lydgate, pour qui la science cessa d’exister dès qu’il se représenta l’infortunée Laure traînant en tous lieux sa douleur, sans rencontrer nulle part d’appui fidèle, Lydgate parvint cependant à savoir que Laure avait pris la route de Lyon. Il la retrouva enfin à Avignon, jouant avec grand succès, et plus majestueuse que jamais, le rôle d’une femme abandonnée. Quand il alla lui parler après la représentation, elle l’accueillit avec sa tranquillité habituelle, qui apparaissait à Lydgate belle et pure comme les profondeurs limpides des eaux, et lui permit de revenir la voir le lendemain. Il était décidé à lui dire alors à quel point il l’adorait et à lui demander de devenir sa femme.

— Vous avez fait ce long voyage, de Paris ici, pour me rejoindre ? lui dit-elle, assise en face de lui, les bras croisés, et le regardant avec de grands yeux étonnés. Tous les Anglais sont-ils comme vous ?

— Je suis venu parce que je ne pouvais vivre sans essayer de vous retrouver. Vous êtes seule, je vous aime ; je viens vous demander de consentir à devenir ma femme. J’attendrai, mais je voudrais de vous la promesse que vous m’épouserez, que vous n’en épouserez pas un autre !

Laure le regarda en silence et avec un rayonnement mélancolique sous ses longues paupières, jusqu’à ce qu’elle le vît rempli d’une certitude enivrante, agenouillé à ses pieds.

— J’ai quelque chose à vous dire, dit-elle de sa voix roucoulante, les bras toujours croisés. Mon pied a réellement glissé.

— Je le sais, je le sais, dit Lydgate. Ç’a été un fatal accident, un coup terrible, une calamité imprévue, mais qui n’a fait que m’attacher davantage à vous.

Laure garda encore un instant le silence, puis lentement :

— Non, je l’ai fait exprès.