Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/258

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douleur ; elle n’eut même pas la force de se demander si ce jeune homme, qui avait tant d’obligations à M. Casaubon, n’aurait pas dû se garder d’un tel langage. Elle demeura assise, sans parler, les yeux attachés sur ses mains, absorbée dans la tristesse de cette pensée.

Will cependant, une fois ses traits meurtriers lancés, se sentit presque honteux, s’imaginant, au silence de Dorothée, l’avoir offensée plus encore ; et il se reprochait d’arracher ainsi les plumes de la queue de son bienfaiteur.

— Ce qui me l’a fait regretter surtout, conclut-il en passant, comme c’est le cours ordinaire des conversations, du dénigrement à l’éloge peu sincère, ce qui me l’a fait regretter, c’est la gratitude et le respect que j’avais pour mon cousin. Pour un homme dont les talents et le caractère seraient moins distingués, cela n’aurait pas tant d’importance.

Dorothée le regarda : ses yeux brillant d’un éclat inusité exprimaient un sentiment violent, et, de son ton le plus triste, elle murmura :

— Comme je voudrais avoir appris l’allemand, à Lausanne ! Il y avait là beaucoup de professeurs allemands. Mais, à présent, je ne puis être bonne à rien.

Ces derniers mots de Dorothée furent pour Will une lumière nouvelle, mais encore mystérieuse. Comment en était-elle venue à accepter M. Casaubon ? Will avait éludé la question, la première fois qu’il avait vu Dorothée, en se disant qu’en dépit de l’apparence, elle devait être parfaitement désagréable, mais aujourd’hui la solution n’en pouvait plus être aussi simple et expéditive. En tout cas, Dorothée n’était sûrement pas désagréable. Elle n’était ni froidement adroite, ni mordante, mais adorablement naïve et sensible. C’était un ange abusé et séduit. Quel enchantement unique ce serait de pouvoir sans cesse attendre et recueillir les mélodieux fragments dans lesquels son âme et son cœur se