Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/297

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avait une si délicieuse odeur de pommes et de coings, et il n’y était jamais venu sans se sentir en joyeuse humeur ; mais aujourd’hui le cœur lui battait péniblement à l’idée qu’il aurait sans doute à faire sa confession en présence de mistress Garth, devant laquelle il éprouvait plus de crainte respectueuse que devant son mari, non pas qu’elle fût disposée aux sarcasmes ou aux vives saillies comme Mary. Elle ne l’était plus du moins, arrivée à son âge respectable de matrone ; jamais elle ne se laissait entraîner à des paroles irréfléchies ; car elle avait, comme elle le disait, porté le joug dans sa jeunesse, et appris à se dominer. Elle avait ce rare esprit qui sait discerner l’irrémédiable et s’y soumet sans murmurer. Adorant les vertus de son mari, elle avait pris de bonne heure son parti de son incapacité à s’occuper de ses intérêts, et elle en avait gaiement supporté les conséquences. Elle avait été assez magnanime pour renoncer à toute prétention sur le chapitre du service à thé ou celui de la toilette des enfants ; et jamais elle n’avait versé dans les oreilles de ses voisines de confidences pathétiques sur le manque de prudence de M. Garth, ou sur la fortune qu’il aurait pu posséder aujourd’hui s’il eut été comme les autres.

En revanche elle n’était pas sans critiquer aussi à sa façon ; car elle était plus instruite que la plupart des mères de famille de Middlemarch et (existe-t-il une femme parfaite ?) encline à se montrer un peu sévère vis-à-vis de son sexe, créé, dans son opinion, pour être entièrement subordonné à l’autre ; indulgente, d’un autre côté, jusqu’à l’excès, pour les fautes des hommes. Il faut bien reconnaître aussi que mistress Garth accentuait un peu trop son mépris pour tout ce qu’elle appelait des folies : d’institutrice devenue bonne femme de ménage, son changement de position s’était un peu trop fortement imprimé dans sa tête, et elle oubliait rarement qu’avec un accent et un langage au-dessus du niveau ordinaire, elle portait les plus simples bonnets, fai-