Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/313

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d’argent, ce n’est pas en cherchant à satisfaire des plaisirs de fainéant, mais parce qu’il se préoccupait surtout de ce qu’il faisait pour les autres. Il a durement trimé et travaillé tant qu’il a pu, pour réparer les pertes de chacun.

— Et vous croyez que je ne ferai pas mon possible pour tout réparer, Mary ? Ce n’est pas généreux de croire toujours le pire d’un homme. Puisque vous avez acquis de l’influence sur cet homme, ne devriez-vous pas l’employer à tâcher de le rendre meilleur ? Mais je m’en vais, conclut Fred, découragé. Je ne vous reparlerai plus jamais de rien. Je suis désolé de toute la peine dont je suis la cause. Voilà tout.

Mary avait déposé son ouvrage et le regardait. Il y a souvent quelque chose de maternel même dans l’amour d’une jeune fille, et la dure expérience de Mary avait donné à sa nature une sensibilité bien différente des sentiments ordinairement si égoïstes et si frivoles des jeunes filles. Aux derniers mots de Fred, elle sentit un vif serrement de cœur, comme celui d’une mère à l’idée des sanglots et des cris de son enfant méchant et paresseux auquel il pourrait arriver malheur. Et quand ses yeux, en se relevant, rencontrèrent le regard morne et découragé de Fred, sa pitié pour lui surmonta sa colère et toutes ses autres préoccupations.

— Oh ! Fred, que vous avez l’air malade ! Asseyez-vous un moment, ne vous en allez pas encore. Permettez-moi de dire à notre oncle que vous êtes ici. Il s’est étonné déjà de ne pas vous avoir vu depuis une longue semaine.

Mary parlait avec agitation, disant les premiers mots qui lui venaient en tête sans trop savoir ce qu’ils signifiaient, mais d’une voix déjà adoucie et presque d’un ton de prière ; et elle se leva sous prétexte d’aller trouver M. Featherstone. Il sembla alors à Fred que les nuages qui l’entouraient venaient de se dissiper et qu’un rayon était descendu sur lui. — Il fit deux pas et se plaçant devant elle :

— Dites un mot, Mary, et je ferai tout pour vous, dites-