Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/339

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miniatures, et, là, du moins, elle vit quelque chose qui avait acquis une nouvelle vie et une signification nouvelle : c’était le portrait de la tante Julia, cette tante de M. Casaubon qui avait fait un mariage malheureux, la grand’mère de Will Ladislaw.

Dorothée pouvait maintenant se la représenter vivante, cette figure de femme si délicate, qui avait pourtant le regard ferme et une certaine étrangeté difficile à interpréter. Étaient-ce ses amis seulement qui avaient trouvé son mariage malheureux ? ou avait-elle fini par comprendre elle-même qu’elle s’était trompée, et goûté l’amertume des larmes dans le silence miséricordieux de la nuit ? Quels champs d’expérience Dorothée semblait avoir parcourus depuis qu’elle avait regardé ce portrait pour la première fois ! Elle se sentit un nouveau lien de sympathie avec lui, comme s’il avait une oreille pour l’entendre et pouvait la voir comme elle le regardait. Il y avait là une femme qui avait connu des souffrances dans le mariage. Mais non, les couleurs en devinrent soudain plus vives, les lèvres et le menton semblèrent s’agrandir, les cheveux et les yeux répandre de la lumière ; le visage avait pris quelque chose des traits d’un homme, et rayonnait sur elle avec ce regard concentré qui dit à celle sur qui il tombe, qu’elle est trop intéressante pour que le plus léger mouvement de sa paupière passe inaperçu. Cette ardente vision vint comme une douce lumière éclairer Dorothée ; elle se sentit sourire et, se détournant du portrait, s’assit, et leva les yeux comme si elle parlait à quelqu’un en face d’elle. Mais le sourire disparut pendant qu’elle continuait à réfléchir.

Tout à coup elle dit à haute voix :

— Oh c’était cruel de parier ainsi ! Que c’est triste ! que c’est affreux !

Elle se leva et, s’enfuyant de la chambre, traversa d’un pas rapide les corridors avec un besoin irrésistible d’aller