Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/344

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tout homme avec tant d’insistance. Les temps étaient changés, et nul faiseur de sonnets n’avait insisté auprès de M. Casaubon, pour qu’il laissât au monde une copie de lui-même ; d’ailleurs, il n’était pas encore venu à bout de la copie de sa clef des mythologies ; mais il avait toujours eu l’intention de se mettre en règle avec la nature par le mariage ; et avec le sentiment de sa solitude, l’impression que les années fuyaient rapidement derrière lui, que le monde devenait plus obscur, était pour lui une raison de ne pas perdre plus de temps à se donner ces joies domestiques, avant que les années ne l’en privassent pour toujours.

En voyant Dorothée, il crut avoir trouvé plus même qu’il ne demandait : elle était capable d’être pour lui une aide véritable, qui le dispenserait de prendre un secrétaire payé, sorte de gens que M. Casaubon n’avait jamais employés et qui lui inspiraient une craintive méfiance. M. Casaubon sentait avec humeur qu’on s’attendait toujours à le voir donner des signes d’un puissant esprit. La Providence, dans sa bonté, l’avait pourvu de la femme qu’il lui fallait. Une jeune fille modeste, douée des capacités discrètes de son sexe, en état d’apprécier le mérite des autres, ne manquerait pas de trouver puissant l’esprit de son mari. La question de savoir si la Providence avait pris un soin égal de miss Brooke, en lui présentant M. Casaubon, était une idée qui ne pouvait lui venir. La société n’a jamais eu l’absurdité d’exiger qu’un homme se préoccupe autant des facultés qu’il possède pour rendre heureuse une charmante jeune fille, que des facultés de cette jeune fille pour le rendre heureux lui-même. Comme si un homme n’avait pas assez à faire de choisir sa femme, mais devait encore choisir le mari de sa femme ! Ou, comme s’il était tenu de se préoccuper, en sa propre personne, des grâces qu’il transmettra à sa postérité ! Quand Dorothée l’accepta avec