Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/348

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— Dorothée, voici une lettre pour vous, qui était incluse dans une autre, adressée à moi.

C’était une lettre de deux pages, et elle regarda immédiatement la signature.

— M. Ladislaw ! Que peut-il avoir à me dire ? s’écria-t-elle d’un ton de joyeuse surprise. Mais, ajouta-t-elle, en se tournant vers M. Casaubon, j’imagine bien à quel propos il vous écrit !

— Lisez sa lettre, je vous prie, dit M. Casaubon, la désignant sévèrement du bout de sa plume et sans regarder Dorothée. Mais je puis bien vous prévenir tout de suite que je devrais écarter sa proposition, de venir nous voir ici. Je pense être suffisamment excusé, par mon désir de jouir enfin d’un laps de temps absolument libre de ces distractions qui ont été inévitables jusqu’ici, à l’abri surtout de certains visiteurs dont la vivacité exubérante fait que leur présence constitue une fatigue pour moi.

Il ne s’était pas produit de nouveau choc entre Dorothée et son mari depuis la petite explosion de Rome. Celle-ci avait laissé au cœur de Dorothée des traces si profondes, qu’elle avait trouvé plus facile d’étouffer son émotion que d’affronter le risque de lui laisser un libre cours. Mais cette crainte, produit de la mauvaise humeur, qu’elle pût désirer des visites désagréables à son mari, cette défense qu’il prenait gratuitement de lui-même, comme pour prévenir toute plainte égoïste de la part de sa femme, c’était là une blessure trop aiguë pour la ressentir avec calme et laisser à la réflexion le temps de l’effacer. Dorothée croyait autrefois que sa patience eût pu tout endurer avec John Milton, mais elle n’avait jamais imaginé que Milton se pût conduire ainsi, et, pour un instant, M. Casaubon lui fit l’effet d’être stupidement aveugle et odieusement injuste. La pitié, « cet enfant nouvellement né », qui devait peu à peu calmer plus d’un orage dans son cœur, n’était pas venue encore. Ses pre-