Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/510

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vie. Là était bien sans doute le centre de son ambition ; mais il y a tels genres de travaux littéraires qui ont surtout pour résultat d’amasser dans l’âme de l’auteur une inquiète susceptibilité. Le résultat le plus caractéristique des durs labeurs intellectuels de M. Casaubon, ce n’était pas la Clef de toutes les Mythologies, c’était un sentiment maladif que les autres ne lui accordaient pas la place qu’il n’avait pas conquise au grand jour ; c’était un soupçon continuel et rongeant que l’opinion qu’on avait de lui n’était pas à son avantage ; il manquait, avec cela, de passion dans ses efforts pour achever son œuvre, et il n’en avait que pour résister à l’aveu qu’il n’avait rien achevé du tout.

Aussi l’ambition intellectuelle qui semblait l’avoir absorbé et desséché n’était-elle pas une réelle sauvegarde contre d’autres blessures, contre les blessures surtout qui lui venaient de Dorothée. Il commençait à imaginer maintenant des possibilités d’avenir qui, de façon ou d’autre, lui étaient plus amères que tout ce qui avait jusqu’alors occupé son esprit.

Certains faits étaient là, patents, contre lesquels il était sans défense : l’existence de Will Ladislaw, son séjour aux environs de Lowick, sa façon sceptique et légère de qualifier les possesseurs de la seule et véritable érudition, la nature de Dorothée revêtant toujours quelque nouvelle forme d’ardente activité, et jusque dans sa soumission et son silence cachant de fervents mobiles auxquels il était irritant de penser, certaines idées enfin, et certaines sympathies qui s’étaient emparées de l’esprit de Dorothée pour des sujets qu’il lui était impossible de discuter avec elle. On ne pouvait nier que Dorothée ne fût une jeune femme aussi pleine de vertus et aussi charmante qu’il eût pu le souhaiter ; mais il se trouva qu’une jeune femme était quelque chose de plus gênant qu’il n’avait cru. Elle le soignait, lui faisait la lecture, elle prévenait ses besoins, elle le sollicitait de lui communi-