Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/517

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plus belles années. En un mot j’ai eu longtemps en mains une œuvre que je voudrais bien laisser derrière moi en état au moins d’être livrée à la presse par… d’autres. Si j’étais assuré que je ne pusse raisonnablement espérer davantage, cette assurance limiterait heureusement mes efforts et me serait un guide dans la voie tout à la fois positive et négative de ma carrière.

Ici, M. Casaubon se tut, ramena une de ses mains de derrière son dos et l’enfonça entre les boutons de son habit, correctement fermé par devant. Pour un esprit qui a pénétré profondément dans la destinée humaine, peu de choses auraient pu être plus intéressantes que le combat intérieur que laissait deviner ce discours cérémonieux et compassé, prononcé avec la parole rythmée et le mouvement de tête qui étaient ordinaires à M. Casaubon. Y a-t-il même beaucoup de situations plus sublimes et plus tragiques que le combat de l’âme avec la nécessité de renoncer à une œuvre qui a été la signification de toute une vie, signification qui va disparaître comme les eaux qui viennent et s’en vont là ou nul homme n’en a besoin ? Mais rien de sublime ne vous frappait dans la personne de M. Casaubon, et Lydgate, qui ne manquait pas d’un certain dédain pour l’érudition creuse, sentit le sourire se mêler a sa pitié. Il était encore trop peu familier avec le malheur pour comprendre tout le pathétique d’une destinée où tout reste au-dessous du niveau de la tragédie, sauf l’égoïsme passionné de celui qui souffre.

— Vous faites allusion aux obstacles possibles qui viendraient de votre santé ?

— Précisément. Vous ne m’avez pas dit que les symptômes que d’ailleurs, je l’atteste, vous avez suivis et observés avec un soin scrupuleux, fussent ceux d’une maladie mortelle. Mais, si cela était, monsieur Lydgate, je désirerais connaître la vérité sans réserve, et j’en appelle à vous pour