Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/56

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lettre ; à faire la critique de cette déclaration d’amour ? Toute son âme était possédée de cette idée qu’une vie plus complète s’ouvrait devant elle : elle était comme une néophyte sur le point d’être initiée à une tâche nouvelle ; elle allait avoir enfin l’emploi de l’énergie de son âme, de cette énergie qui n’avait jamais pu s’exercer qu’à grand’peine, comprimée entre l’obscurité de sa propre ignorance et les petites exigences du monde.

Elle pourrait se dévouer désormais à des devoirs élevés bien que définis, elle pourrait vivre continuellement dans la lumière d’une intelligence qu’elle révérerait et cet espoir se mêlait à l’épanouissement d’un bonheur triomphant, à la joyeuse surprise de la jeune fille qui se voit choisie par celui que son admiration avait aussi choisi. Toute la passion de Dorothée tendait à une vie idéale ; le rayonnement de sa jeunesse transfigurée se répandit sur tout ce qui l’entourait. Les petits incidents de ce jour qui avaient excité son mécontentement sur les conditions de sa vie présente ajoutèrent à l’impétuosité de ses sentiments et hâtèrent sa résolution définitive.

Après dîner, tandis que Célia exécutait au piano des variations, sorte de petit tapotement qui symbolisait la partie esthétique de l’éducation des jeunes filles, Dorothée monta à sa chambre pour répondre à la lettre de M. Casaubon. Pourquoi tarderait-elle à le faire ? Elle recopia trois fois sa réponse, non pour en changer les termes, mais parce que sa main tremblait, et elle ne voulait pour rien au monde que M. Casaubon trouvât son écriture mauvaise et illisible. Elle mit son amour-propre à écrire une réponse où chaque lettre fût parfaitement distincte et ne pût prêter à de fausses interprétations ; elle comptait bien d’ailleurs employer ce talent à soulager les yeux de M. Casaubon.

Elle écrivit donc trois fois les lignes suivantes :